mercredi, juillet 25, 2012

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Un regard nuancé sur la Syrie


Quand on s’intéresse à ce qui se dit sur la Syrie dans la presse, force est de constater que le discours dominant ne fait pas dans la nuance. Bachar al-Assad semble être une nouvelle incarnation du mal (après Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein, et même le colonel Gamal Abdel-Nasser) tandis que l’opposition armée représente le Bien.
C’est l’Occident qui le dit, alors c’est vrai.
De fait, la parole des autorités syriennes est généralement inaudible dans nos médis sauf à être déformée par les artifices de propagande dont est coutumière la presse «libre.»
Certes cette parole du gouvernement syrien n’est probablement pas très nuancée non plus. On peut cependant y accéder indirectement par le site InfoSyrie qui est farouchement pro-gouvernemental mais semble pourtant s’astreindre à un minimum de pondération qu’on peine à observer dans nos journaux.
C’est précisément cette problématique que traite Stephen Starr pour Foreign Policy.
S’il n’est pas indulgent à l’égard du gouvernement syrien, Starr insiste cependant  sur la complexité de la situation, la réalité du soutien d’au moins une partie significative de la population au président en exercice, sur le fait que nous sommes sous-informés sur la situation sur le terrain et que le comportement des journalistes ne facilite en rien la compréhension des évènements.

Incidemment, il nous apprend que les journaux avec lesquels il collabore habituellement ont refusé de publier certains de ses articles qui ne collaient pas avec la vision du régime bourreau et des opposants paisibles victimes.
Une invitation à la modestie et au respect de l’éthique professionnelle de la part de quelqu’un qui n’a séjourné que cinq années en Syrie


Ce qui se passe en Syrie est trop compliqué pour s’expliquer dans un gros titre
Par Stephen Starr, Foreign Policy (USA) 23 juillet 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Paphos, Chypre - A Jdaydieh Artouz, une ville à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Damas qui est le foyer d’un mélange de sunnites, d’alaouites et de chrétiens, des manifestations ont eu lieu presque quotidiennement pendant près d’une année. Pourtant, les forces de sécurité, basées dans un commissariat de police à quelques centaines de mètres de l’endroit où les manifestants se rassemblaient régulièrement, les ignoraient en général. Une nuit pluvieuse et froide de janvier, alors que j’étais sorti pour chercher des sandwiches au shawarma, j’ai vu des voitures avec des portraits de Bachar al-Assad qui ornaient la lunette arrière passer à quelques mètres des irréductibles manifestants. Aucune des deux parties n’avait semblée être offusquée. A l’exception d’incidents isolés dans lesquels quelques manifestants avaient été tués, la ville est restée calme tout au long du soulèvement – jusqu’à ce 19 juillet quand des combattants rebelles ont tiré des salves de RPG sur le commissariat de police, tuant cinq agents.

Ayant résidé dans cette ville pendant les onze mois du soulèvement, j’ai essayé sans y parvenir de faire publier des articles s’interrogeant sur pourquoi le régime tolérait des manifestations ou autorisait la liberté de réunion dans certaines zones, mais pas dans d’autres. Ces incidents ne collaient pas avec le discours qui veut que toutes les manifestations aient été violemment réprimées. Elles l’ont été en majorité, bien sûr – et souvent brutalement – mais l’image d’ensemble était d’une complexité déroutante.

Cependant, comme les militants hostiles au régime ont réussi là où j’ai échoué, l’histoire de Jdaydieh Artouz a été déformée, à en être presque méconnaissable. Des centaines de vidéos diffusées sur YouTube présentent au monde extérieur une vision selon laquelle la ville était en rébellion ouverte, qu’elle était unie dans son opposition au gouvernement syrien.

Mais demandez aux familles chrétiennes, druzes et chiites parmi auprès desquelles j’ai vécu à Jdaydieh si elles soutiennent la révolution, et la grande majorité vous répondra, en privé, que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, les chrétiens craignent de voir leurs églises étroitement contrôlées par ce qui serait probablement un gouvernement conservateur sunnite si la rébellion l’emportait. Ils se demandent si les femmes se verraient dire comment s’habiller.

A Jdaydieh, comme dans beaucoup d’autres villes et villages en Syrie, la bière, la vodka et les spiritueux se vendent de jour comme de nuit dans des kiosques aux coins des rues ; les chrétiens peuvent célébrer ouvertement leurs fêtes religieuses en marchant en procession dans les rues au centre des villes. Ils apprécient la liberté associée au – et selon leurs propres termes, «autorisées par le» - régime d’Assad. Dans l’ensemble, ils ne sont pas partie prenante de cette révolte.

Mais il n’y a pas que les minorités pour craindre le changement. La nouvelle classe moyenne de Syriens qui occupent les emplois de la banque, conduisent des voitures à 15 000 dollars et qui élèvent leurs jeunes enfants se sent menacée par la révolte. Beaucoup dans ce groupe de nouveaux riches ont peur de perdre les privilèges qu’ils ont obtenus et dont ils ont bénéficié pendant le régime d’Assad. Pour eux, la paix et la prospérité, c’est la Syrie d’avant mars 2011.

Les difficultés pour informer en Syrie – particulièrement dans les zones en dehors de Damas – sont évidentes. Beaucoup de journalistes de renom ont payé le prix ultime. (Suite à une affectation dans un secteur de Damas est qui avait été le théâtre d’affrontements entre des rebelles et l’armée syrienne, j’ai choisi de quitter le pays. J’ai rendu compte de scènes choquantes auxquelles j’ai assisté sur place et je commençais à être de plus en plus obsédée à l’idée de pâtir des séquelles de mon séjour.)

Quand je résidais en Syrie, je ne me suis jamais risqué à aller à Homs ou à Deraa, deux des villes frappées le plus durement par les troupes d’Assad, de crainte d’être expulsé – sort qu’on connu beaucoup de journalistes qui couvraient le conflit. Par conséquent, la plus grande partie de la Syrie est resté un trou noir pour moi. Je pouvais entendre le bruit des obus qui s’abattaient dans les champs autour de mon appartement, mais leur bruit sourd ne m’informait guère sur ce qui se passait en dehors de la ville.

Même dans le microcosme de Damas, il n’était pas facile d’avoir une bonne vision de ce qui se passait : les opinions des gens déformaient inévitablement leur compréhension des évènements. Passant par les checkpoints de l’armée, je me rendais régulièrement dans des villes près de la capitale, où les sunnites manifestaient tandis que les populations minoritaires se recroquevillaient dans la peur. Mes contacts dans ces villes, tous de groupes minoritaires, m’expliquaient qu’ils apportaient du whisky et de la nourriture aux forces de sécurité qui tiennent les checkpoints ; ils leur transmettent des informations, des renseignements; ils soutiennent à fond le gouvernement.

La vérité est brouillée quand les organes de presse sont obligés de recourir à des vidéos YouTube pour dire au monde ce qui se passe en Syrie. Quoique souvent authentiques, de tels vidéoclips sont extrêmement difficiles à vérifier. Le plus gênant cependant, c’est qu’elles ne sont pas nuancées par leur contexte – chose qui ne peut résulter que du travail des journalistes sur le terrain. Ce sont pourtant des vidéos faites par des militants diffusées par les chaînes de télévision du monde entier qui ont modelé notre réflexion et nos opinions sur la Syrie. Le conflit devient noir et blanc quand on le regarde par une telle lorgnette : le régime d’Assad est mauvais et les rebelles sont les bons. La vérité est, bien entendu, plus compliquée que ça.

Un autre défi de poids auquel font face les journalistes en Syrie est qu’ils doivent soit suivre la voie officielle – demander un visa auprès du gouvernement syrien et se résigner à une mascarade chorégraphiée qui fait du régime la victime de terroristes sanguinaires – ou ils doivent franchir illégalement la frontière turque ou libanaise avec l’aide des forces rebelles.

Contrairement à ce qui pu être dit, le gouvernement syrien autorise les journalistes à entrer dans le pays. Des équipes de Fox News, de la chaîne britannique ITV ont récemment obtenu des visas de dix jours pour couvrir la Syrie à partir de la capitale. Beaucoup de ces journalistes font des reportages sur les soldats blessés dans les hôpitaux et ont remarqué que la Syrie est en fait un pays divisé et qu’un soutien significatif existe en faveur du régime. Mais les limitations du journalisme officiel sont multiples. Les chaperons du gouvernement mettent des restrictions sur les déplacements et les contacts avec les locaux, ce qui rend difficile de sortir quoi que ce soit qui ne colle pas avec le discours du régime.

L’intégration [embedding] avec les rebelles, qui sont aussi avides de se présenter comme des victimes plutôt  que comme des agresseurs, est de la même manière une source d’obstacles pour accéder à la vérité. Mais les rebelles sont du genre compliqué. Elizabeth Palmer, une journaliste de CBS a récemment réussi à fausser compagnie à ses chaperons gouvernementaux et est partie à la recherche de combattants de l’Armée Syrienne Libre. Cependant, quand elle les a trouvés, ils lui ont tout de suite dit qu’elle serait exécutée en raison des cachets du gouvernement syrien sur son passeport. D’autres journalistes couvrant les évènements dans la campagne ont signalé le caractère menaçant des insurgés.

Du fait des obstacles aux reportages à l’intérieur de la Syrie, on entend peu de choses sur ce que pense l’importante communauté arménienne d’Alep. On ne comprend pas vraiment pourquoi les Ismaéliens de Syrie sont la seule minorité à soutenir la révolte. Lattaquié, sur la côte au nord-ouest, est la ville de Syrie où vit la plus grande population alaouite – mais nous ne savons pas où ils se voient dans une Syrie future. Peu de journalistes ont essayé de parler à des civils dans des parties du pays éloignées de Damas. Et les articles qui explorent les particularités individuelles des petites villes sont trop rares.

Aujourd’hui, le régime épouse ouvertement le sectarisme (il a par exemple fourni des armes aux alaouites qui vivent dans le quartier de Mezzeh 86 à Damas), mais c’est aussi le cas des civils sunnites qui soutiennent la révolte. Des civils alaouites sont assassinés pour l’unique raison de leur appartenance religieuse. Dans un cas, une institutrice alaouite a été désignée sur un réseau social et tuée par la suite. (Sa mort avait été fêtée sur des pages Facebook haineuses qui ont été ensuite retirées.) Un Syrien qui travaille pour la presse internationale m’a dit que sunnites et alaouites ne pouvaient plus vivre ensemble, qu’une partie des alaouites devraient être refoulée vers les montagnes de l’ouest de la Syrie.

Au milieu des récents combats à Damas, des militants ont demandé à Dieu d’élever la ville au même statut que La Mecque, Médine et Jérusalem. Je me demande ce qu’en pensent les druzes et les chrétiens de Syrie. Je me demande aussi ce que les sunnites pensent des chrétiens qui encouragent discrètement le régime à balayer les manifestants.

Mais il y a une fracture encore plus grande qui s’ouvre en Syrie et qui a été négligée à cause des difficultés pour couvrir le conflit. C’est la division entre les militants et les rebelles qui frappent le régime d’Assad pour le faire tomber et ceux qui veulent simplement vivre tranquillement – peu importe qui est au pouvoir. La complexité de la situation a peut-être été le mieux résumée par un dentiste de 28 ans avec qui j’avais parlé à Damas en janvier dernier : «Nous détestons le régime, mais nous voulons la paix, » avait-il dit à plusieurs reprises. «Mieux vaut le régime qu’une guerre civile.»

La nature compliquée du conflit en Syrie, couplée aux obstacles auxquels sont confrontés les journalistes, a joué en faveur d’une présentation simpliste des év-èléments. Mais la réalité est que de nombreux Syriens ne soutiennent ni le régime, ni la révolte. C’est la majorité silencieuse syrienne, et elle payera probablement un prix élevé pour ce qui a été estampillé comme une lutte du bien contre le mal. Le régime d’Assad est au point de départ de cette révolte – il avait choisi les armes au lieu du dialogue – mais sa politique de division mène depuis sa propre vie. Trop souvent aujourd’hui, de sont des Syriens qui tuent d’autres Syriens, mais en lisant les informations vous risquez de ne jamais le savoir.

Stephen Starr a vécu en Syrie de 2007 à février de cette année. Son livre, Revolt in Syria: Eye-Witness to the Uprising, a été publié en Europe. Dans le cadre de son tavail de journaliste, Stephen Starr a également couvert le Liban et l’Irak. Il collabore avc de nombreux journaux ou médias dont The Los Angeles Times, The Irish Times, USA Today,  The Times ou encore la BBC.

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posted by Djazaïri at 5:01 PM

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